Alain Andrieux

Stefan Stratil et Franziska Bruckner sont membres du bureau autrichien de l'Association Internationale du Film d’Animation. Cette année ils présentaient deux programmes au Festival du Film de Tallinn pour célébrer 30 ans de cinéma d'animation en Autriche : "Ways to Abstraction" et "Visions of Animation". 

Stefan Stratil, Franziska Bruckner et le réalisateur Rainer Kohlberger                                                                © Photo : Lys Miriel Le Corvec

ASIFA AUSTRIA est créée en 1985 par les étudiants et les personnes associées du "Studio for Experimental Animation” établi à l'université des arts appliqués de Vienne par Maria Lassnig, la Grande Dame de la peinture autrichienne. Elle engage alors le cinéaste d'animation Hubert Sielecki afin d'installer un petit studio de production sonore et de tournage d'animation en 16mm au sein de sa classe de Design Expérimental, qui devient alors l'unique endroit qui enseigne l'animation en Autriche jusqu'à la fin des années 90.

La classe de Maria Lassnig ouvre ses portes en 1982. Basée sur une profonde éducation artistique, elle offre l'opportunité de créer des animations très visuelles dans différents styles et techniques comme le dessin, la peinture, les marionnettes, et l'animation en tout genre, permettant aux artistes d'utiliser tout moyen d'expression artistique. Le début des années 1980 consacre l'ère du punk et de la new wave, une nouvelle génération de public est née et un besoin de films nouveaux autres que ceux Peter Kubelka ou Kurt Kren se fait sentir. Les films des étudiants sont bien reçus par la presse et la critique, ils deviendront bientôt des succès à travers des festivals comme la Berlinale, Stuttgart ou Zagreb. Le court-métrage architectural "Der Mensch mit den modernen Nerven" ("L'Homme aux nerfs modernes"), tourné en 16 mm et réalisé en 1988 par Stefan Stratil et Bady Minck, est même reçu par la Semaine de la critique à Cannes.

Le réalisateur polonais Zbigniew Rybczynski, réfugié politique en Autriche à cette époque, est alors invité par Sielecki à organiser des conférences sur l'animation, qui eurent une profonde influence sur de nombreux étudiants. Après avoir remporté un Oscar pour "Tango" à la fin des années 1980, Rybczynski émigre aux États-Unis où il devient extraordinairement célèbre sous le surnom de "ZBIG" pour des clips musicaux réalisés pour Grandmaster Flash ("Sign of The Times" 1984), Jimmy Cliff ("Hot Shot" 1985), Lou Reed ("The Original Wrapper" 1986), Cameo ("Candy" 1986), Herb Alpert ("Keep Your Eye On Me" 1987) ou encore Mick Jagger ("Let's Work" 1987) parmi d'autres. Un voyage organisé pour sa classe au festival du film d'Annecy donnera une impulsion cruciale à la création d'ASIFA AUSTRIA.

Le but originel de l'association de jeunes artistes était de créer un espace de travail pour les étudiants diplômés en animation. En 1987, une commission publique de la télévision autrichienne est attribuée au court métrage d'animation de 48 mn ''1x1 Des Glücklichen Lebens'' (''101 Of A Happy Life''), contribuant ainsi à la création d'un studio analogue où les artistes peuvent venir travailler à la sortie de leurs études. Ce studio a offert jusqu'à aujourd'hui des équipements, des archives sur l'animation, et des possibilités d'ateliers. Plusieurs membres de cette génération de fondateurs, comme Sabine Groschup, Mara Mattuschka, Bady Minck ou Renate Kordon, sont toujours très influents dans le milieu actuel de l'animation en Autriche. En tant que plateforme pour le cinéma d'animation, ASIFA Austria a été un pilier du développement et de la consolidation de l'animation autrichienne, sous les directions successives de Hubert Sielecki, Thomas Renoldner et Stefan Stratil.

Aujourd'hui, l'association est devenue une vitrine centrale pour les films d'animation expérimentaux autrichiens. Elle accueille des créateurs d'animation comme Madi Piller, Maja Gehrig ou Inger Lise Hansen dans le cadre de résidences artistiques à Vienne, mais ses membres publient aussi des livres sur l'histoire nationale du cinéma d'animation, sélectionnent des programmes, donnent des prix dans des festivals ou organisent des expositions et des colloques.

La surprise de cette 30ème d'année d'anniversaire est la projection d'un programme de films autrichiens sélectionnés par Franziska Bruckner, Stefan Stratil et leur collègue Holger Lang à destination des festivals de films internationaux. Un des premiers fut Animafest Zagreb, où deux programmes, historique et contemporain, ont été présentés. Le producteur créatif et directeur artistique du festival Animafest Daniel Šuljic a démarré ses études en animation à Vienne, et il est aussi membre d'ASIFA Austria depuis les années 1990. Les programmes ont aussi été projetés au XWRA Media Arts Festival à Lamia en Grèce, au festival Kinoteka à Ljubjana (Slovaquie), au Festival du Court Métrage Indépendant VIS à Vienne, ainsi que sur plusieurs autres événements aux États-Unis et au Canada.

L'Autriche n'a pas encore développé une tradition de l'animation portée par de grands studios, comme en Pologne ou en République Tchèque, mais son approche expérimentale bénéficie d'une forte tradition doublée d'une solide réputation. Les productions en Autriche sont de plus en présentes dans les festivals, ce qui implique un public grandissant. L'animation s'y est développée et il existe aujourd'hui plusieurs possibilités d'apprendre les différents aspects de l'animation à travers le pays. Les bases techniques et artistiques peuvent être acquises dans divers endroits comme à la faculté des Arts Appliqués, à l'Académie des Beaux Arts de Vienne, à l'Université des Sciences Appliquées en Haute-Autriche ou à l'université privée Webster de Vienne, bien qu'il n'y ait pas encore d'académie officielle pour l'apprentissage de l'animation en Autriche.

L’Autriche est réputée pour ses films artistiques et abstraits bien qu'elle n'ait pas encore développé un environnement propre à l'animation qui puisse être comparé à une industrie. La production de films animés n'a pas encore vraiment commencé, bien que des productions publicitaires et d'autres initiatives apparaissent, telles que ''Pixel Vienna'', la conférence annuelle sur l'infographie et l'animation. La communauté se développe petit à petit. Malgré le fait qu'il y ait des financements publics pour les longs métrages classiques, les documentaires et les films expérimentaux, il n'y a toujours pas de financement spécifique pour l'animation, et les courts métrages doivent être innovants pour être financés.

Nous trouvons aussi des festivals de films d'animation en Autriche, comme le célèbre "Tricky Women Festival", consacré aux femmes dans l'animation et se déroulant en Mars à Vienne, ainsi que la programmation animée du festival des arts digitaux "Ars Electronica".

Le Festival du court métrage Indépendant de Vienne (VIS), qui se déroule durant la dernière semaine de Mai, inclut aussi une programmation d'ASIFA Austria "Animation Avantgardiste" qui a accueilli cette année quelques invités internationaux de renom, tels Jerzy Kucia ("Fugue For Cello, Trumpet and Landscape") ou Don Hertzfeldt ("World Of Tomorrow") ayant chacun animé des masterclass. Chaque automne, l'association organise aussi le "One Day Animation Festival", où une sélection de films animés autrichiens les plus récents sont projetés. Elle décerne des prix pour ces deux événements dirigés par Thomas Renoldner. Cette année, le prix ASIFA pour la ''Meilleure Animation Autrichienne'' a été attribué à "Uncanny Valley" de Paul Wenninger, et le prix ASIFA de la ''Meilleure Animation d'Avant Garde'' a été attribué à "Moon Blink" de Rainer Kohlberger, qui a aussi été projeté dans d'autres festivals à l'étranger, comme le Festival du Film d'Animation Animated Dreams à Tallinn.

Pendant ce mois de Novembre à Tallinn, Stefan Stratil et Franziska Bruckner présentaient au public d'Animated Dreams un programme dédié aux 30 ans de l'animation en Autriche. De nombreuses questions inattendues ont émergées de la part du public avant la projection. Pourquoi de l'animation abstraite ? Comment ces films peuvent-ils être distribués ? Quelles sont les plate-formes qui permettent de voir ces films en dehors du circuit des festivals ? Cela a été une surprise pour Stefan et Franziska, qui affirment que les réactions du public apparaissent en général après les projections, quand le public a déjà découvert le sujet. Le public de Tallinn semble cette année très ouvert aux films abstraits et leur a témoigné un intérêt spécial.

Auteur : Alain Andrieux

Photographe : Lys Miriel Le Corvec