Le plus antillais des Inconnus est issu d'une longue lignée d'artistes
d'où émerge le nom de Darling Légitimus, meilleure actrice
du Festival de Venise en 1983. Le petit fils Pascal nous parle ainsi de son
héritage culturel et militant ainsi que de son implication dans le dernier
film des Inconnus, Les Rois Mages.
Comment est né le petit dernier?
Les Rois Mages est un film qui est né des Trois Frères.
A la fin des Trois Frères, on fait allusion aux Rois Mages. Un
des cuistots m'appelle Balthazar! Alors on s'est dits, cinématographiquement,
sachant qu'on est trois, quelles sont les histoires qui pourraient nous représenter
au cinéma? Donc, il y a Les Trois Petits Cochons, Les Trois Mousquetaires,
et Les Trois Mages. L'avantage des Trois Mages, c'est que c'est une histoire
qui n'a jamais été représentée au cinéma,
c'est totalement vierge. Dans la Bible, ça correspond à deux petits
paragraphes dans L'Evangile Selon Saint Mathieu. Parce que les Rois Mages ont
été inventés, ils n'existent pas dans l'histoire biblique
de Jésus. Ça a été très romancé. Et
nous, dans le fait d'être transposés à notre époque
dans nos djellaba et avec nos barbichettes, il y avait un anachronisme qui nous
plaisait assez bien. Et c'est vrai que ça pouvait donner un film étonnant,
avec beaucoup d'émotion, beaucoup de philosophie, et drôle à
la fois. Sachant que Les Trois Frères était un film plutôt
déjanté, ça partait en live dans toutes les directions,
on avait des vrais défauts, on était des couards, des menteurs,
etc. Là, ce sont trois personnes qui sont pures. C'est le décalage
avec ce monde d'aujourd'hui qui est un peu pourri...
Jusqu'où est allé votre rôle pendant le tournage du
film?
Sur Les Rois Mages, j'étais acteur, avec juste un oeil extérieur
pour aider les copains. Ce sont Didier et Bernard qui ont soulevé le
projet, sachant que j'étais pris sur Antilles sur Seine, donc
je n'ai pas pu assumer la créativité totale du film, je suis arrivé
en fin de parcours pour avoir un oeil sur le scénario et donner mon avis
artistique. Mais je leur ai fait totalement confiance, et ce qu'ils ont fait
c'est quelque chose de très performant. Je leur fais confiance, on est
maintenant une famille, c'est comme si j'avais des frangins, je n'ai pas à
leur expliquer les choses, le protocole d'accord qu'il y a entre nous. En tout
cas, ça s'est bien passé. J'étais acteur, mais quand il
y avait quelque chose qui n'allait pas, je glissais mon mot, parce que j'avais
tout intérêt à ce que ça soit un beau film. Les choses
se sont donc faites en famille, au Maroc, où il faisait très chaud.
Il faisait 42°, et on avait trois couches de costume! Et moi, l'image qui
m'a le plus marqué, c'est trois chameaux dans le désert qui avaient
à peu près les tronches de moi, Didier et Bernard, dans le sens
où il y avait un chameau qui était très foncé, un
plus clair, et un très, très blanc! J'ai pris la photo et j'ai
dit: "Regardez les mecs, c'est le hasard: les chameaux, c'est nous!"
Intéressons-nous maintenant un peu plus au Légitimus hors
cinéma. Ce qui est émouvant, c'est que vous êtes issu d'une
véritable lignée d'artistes. Les parcours de Darling et Théo
Légitimus sont notamment très intéressants...
Effectivement, ma grand mère, Darling Légitimus, est une artiste
qui a débarqué à Paris à l'âge de 14 ans et
qui a joué avec Joséphine Baker dans la revue Nègre au
Moulin Rouge, au Lido, et ensuite, mon père, Théo, a assumé
la même chose, il avait les chromosomes artistiques et a joué depuis
l'âge de 4 ans. Et son premier film, je l'ai à la maison, c'est
Bouboule Premier Roi Nègre, mon père avait 4 ans, en 1934.
C'est très émouvant de voir mon père, comme ça,
en train de faire le mariole! Et moi, dès l'âge de 9 ans, j'ai
assumé la même profession, dans le sens où j'étais
assez coincé, assez timide, et c'est mon père qui m'a permis de
faire du théâtre. Plutôt que de faire du foot, du basket
ou du rugby, il m'a fait faire du théâtre comme hobby, j'y ai pris
goût et j'en ai fait ma profession à l'âge de 18 ans. Après
la fac, j'ai pris le parti d'en vivre. C'étaient un peu les vaches maigres
au début. A 22 ans, j'ai débarqué au théâtre
de Bouvard, par une audition, et à 25, j'étais dans Les Inconnus.
J'en ai 42, voilà, ça passe vite! (sourire)
Votre grand mère a reçu le prix de la Meilleure Actrice à
Venise pour le film Rue Cases Nègres d'Euzhan Palcy. Et vous lui
avez consacré un documentaire...
Effectivement, dans le domaine du spectacle, il y a deux femmes noires qui
ont obtenu des prix: Hattie Mcdaniel, pour Autant en Emporte le Vent,
et ma grand mère dans Rue Cases Nègres. Donc elle a eu
un parcours tellement génial et enrichissant que je me suis permis, avant
qu'elle ne meure, de lui consacrer 52 minutes. Donc j'ai fouillé dans
sa vie, j'ai découvert des choses incroyables; elle a quand même
côtoyé Sacha Guitry, Fernandel, Louis de Funès, et les plus
grands. Donc j'ai fait ce documentaire pour lui rendre hommage. Parce que les
Césars, quand elle est décédée, l'ont oubliée...
Tous les ans, on cite les noms des personnes décédées,
et on l'avait oubliée... Et comme par chance, j'ai deux amis qui ont
débarqué aux Césars et qui ont dit: "Attendez, il
y a un problème. Premièrement, il n'y a pas beaucoup de blacks
au cinéma, au théâtre et à la télé.
Ce n'est pas normal, parce qu'on est intégrés dans la vie française.
Deuxièmement, vous avez oublié Darling Légitimus, la doyenne
des comédiens français de couleur, qui est décédée
à 92 ans l'année dernière..." Donc, vous voyez...
heureusement que ce documentaire existe! Et s'il y a des gens qui veulent se
le procurer, je peux éventuellement leur vendre à moindre coût,
ou faire des diffusions, des projections quand ils veulent. Ils peuvent donc
me faire signe quand ils veulent. J'ai un site internet qui s'appelle www.legitimus.com,
et dessus on peut me contacter, m'écrire, me voir, il y a plein de choses
très sympa...
La famille Légitimus est aussi une famille très militante...
Oui, c'est une famille très militante, parce que mon grand-père
s'occupait de tous les antillais dans les années 50. Ils débarquaient
à Paris et ils étaient un peu paumés. Il a donc créé
une association qui s'appelait La Solidarité Antillaise, qui permettait
aux enfants d'aller à l'école, en colonie de vacances, aux familles
de se loger... Le film Antilles sur Seine relate un peu cette histoire,
cette coagulation d'energies... Il s'agit d'aider ses confrères. Les
juifs entre eux sont comme ça, les asiatiques aussi. Les Antillais n'ont
pas forcément cette réputation. Mais j'ai voulu quand même
montrer que les antillais étaient aussi comme ça. Ça me
faisait marrer de savoir que 800 000 personnes pouvaient aider une personne,
un des leurs, et j'en ai fait un film...
Votre famille a t-elle souffert des préfugés, du racisme?
Oui, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de blacks dans les années 50,
ils se comptaient sur les doigts de pied. Donc forcément il y a eu des
brimades, une certaine agressivité de la part des gens qui n'étaient
forcément pas très cultivés, parce que pour être
raciste, il faut pas être cultivé, il faut même être
con. Ou alors c'est un réflexe génétique. Mais comment
attaquer une personne sur la couleur d'une peau, sachant qu'il y a le cerveau,
le coeur, le sang qui coule dans nos veines est rouge, et mon sperme est blanc
comme le vôtre! Donc oui, les miens ont souffert du racisme, mais ils
s'en sont bien défendu. Et moi, je suis fier quelque part d'avoir aidé
Anthony Kavanagh, Dieudonné, des gens comme ça qui existent maintenant
dans le PAF. Et ce film, Antilles sur Seine, existe aussi maintenant,
on le trouve en DVD, il est popularisé, il va passer sur TF1 à
20H30, et c'est important, parce que c'est un acte politique au même titre
qu'un acte ludique. Mais en France, il y a de vrais problèmes, et heureusement
que le métissage est là...
Vous souhaitez transmettre le flambeau aux petits Légitimus?
En tout cas, ceux qui vont venir vont être forcément imprégnés
de ce chromosome, de cette ambiance artistique. Après, ce qu'ils en feront,
je ne sais pas - libre arbitre. Mais, en tout cas, s'ils veulent le faire, je
leur donnerai les bases. Parce qu'il faut être costaud. Le talent ne suffit
pas, il faut aussi avoir le mental.
Entretien réalisé au Festival de Saint Jean de
Luz 2001 par Robin Gatto, Yannis Polinacci & Frédéric Leconte