Après Sous le Sable, son film le plus naturaliste et son plus
gros succès, François Ozon revient à la théâtralité
avec Huit Femmes, une intrigue policière de boulevard qui sert
d'étui clinquant à huit joyaux superbes. Catherine Deneuve, Isabelle
Huppert, Fanny Ardant, Danièle Darrieux, Emmanuelle Béart, Virginie
Ledoyen, Firmine Richard et la jeune Ludivine Sagnier sont les bijoux de cette
fantaisie malicieuse et colorée, véritable hommage aux actrices
et à la comédie. Ozon s'explique sur le choix du casting et sur
la façon de travailler avec autant de stars à la fois.
D'où vient l'idée de Huit Femmes ?
C'est venu de l'idée de travailler avec plusieurs actrices à la fois. Au début
je voulais faire un remake de Women de Cukor, mais les droits étaient
déjà pris aux Etats Unis par Julia Roberts et Meg Ryan. Donc j'ai très vite
laissé tomber. Puis Dominique Besnéhar m'a parlé d'une pièce française Huit
Femmes qui était très connue dans les années 60, qui a eu beaucoup de succès
en France puis qui a été complètement oubliée. C'est du théâtre de boulevard
du style " au théâtre ce soir ". L'intrigue policière m'a plu donc je l'ai choisie.
C'est un texte assez mineur donc l'idée qu'on a eu avec la personne avec laquelle
je fais le casting, c'était d'avoir ces stars qui jouent un truc de boulevard,
une intrigue à la Agatha Christie. Elles ont toutes accepté tout de suite, probablement
grâce à Charlotte Rampling puisque Sous le Sable venait de sortir. On
s'est donc retrouvé avec le casting idéal et puis l'enfer a commencé… enfin,
le tournage. (rires)
Comment avez-vous réussi à les réunir toutes ?
C'était le hasard. Elles étaient toutes libres à ce moment-là. Et puis on a
tourné dans la continuité. Ce qui a beaucoup aidé puisque Fanny Ardant était
en tournage au début, ce qui tombait bien parce son personnage n'arrive pas
tout de suite. C'était vraiment une coïncidence. Normalement au cinéma, on ne
voit qu'une ou deux actrices comme cela dans un film, mais ici l'idée c'était
de faire des plans " brochette ", d'en avoir six d'un coup ! (rires)
Et pourquoi un " enfer " ?
Le tournage s'est quand même assez bien passé. Disons que quand on réunit huit,
enfin six notamment, personnalités comme ça, c'est un peu difficile. Avec Charlotte
Rampling pour Sous le Sable, j'avais une relation très privilégiée, mais
ici c'était différent. (…)
Elles se sont très bien entendu, il y a eu un vrai travail de troupe et puis
elles ont vite compris que c'était dans leur intérêt d'être bien toutes ensemble.
Mais forcément il y a des tensions : quand vous vous retrouvez dans un plan
avec Catherine Deneuve et Isabelle Huppert qui sont dans le fond et qui font
de la figuration, il faut être un peu plus diplomate que d'habitude !
Chaque actrice chante une chanson dans le film. Comment avez-vous travailler
sur ces numéros musicaux ?
Ce sont des morceaux que j'ai choisi personnellement. J'aimais l'idée de prendre
des chanteuses françaises très connues et de créer des sortes d'équivalence,
des clins d'œil : on a Deneuve qui chante une chanson de Sylvie Vartan, Isabelle
Huppert Françoise Hardy… Toutes les numéros ont été filmés en play-back et tout
a été enregistré en studio. Comme elles ne chantent pas toutes très juste, ça
a permis d'améliorer certaines choses. (rires) Mais pour chacune, c'est sa voix.
C'était important pour moi qu'il y ait cette continuité entre la voix chantée
et la voix parlée. Catherine, dans les films de Demy ce n'est pas elle qui chante
et que je crois qu'elle en avait des regrets. D'autant qu'elle chante très bien
!
Le générique est constitué de plans de fleurs, les avez-vous choisies par rapport
aux actrices ?
Certaines fleurs correspondent aux personnalités des personnages dans le film,
mais c'était surtout un travail sur la couleur : la rose qui évoque la robe
rouge de Fanny Ardant, l'orchidée pour Catherine Deneuve qui rappelle un peu
sa fourrure … Et puis c'était aussi une référence au générique de Women,
mais Cukor, lui, avait été plus dur : il avait carrément mis des animaux. Il
y avait une biche, une vache… (rires) Ca avait été une des idées au départ,
on avait pensé mettre un poulailler, un oiseau pour chacune. Puis finalement
je me suis dit qu'il valait mieux commencer le film assez soft, la cruauté arrive
petit à petit.
Isabelle Huppert est hilarante dans le film. A-t-elle accepté facilement le
rôle d'Augustine ?
Quand j'ai dit à Isabelle Huppert qu'elle jouerait une vieille fille, elle n'était
pas très contente. Elle m'a dit : " d'accord, mais est-ce que je serais belle
? " Comme elle m'a répondu ça, j'ai eu l'idée de la transformer pour qu'elle
ait aussi sa scène glamour. J'ai vraiment écrit la scène pour elle et je pense
que ça marche bien dans le film.
Vous faites dire à Catherine Deneuve et Fanny Ardant, deux actrice " truffaldiennes
", des répliques de La Sirène du Mississippi et du Dernier Métro,
comment ont-elles réagi à cette proposition ?
Il y avait beaucoup de pudeur de la part de Fanny Ardant et de Catherine Deneuve
par rapport à Truffaut donc elles n'ont rien dit mais j'ai senti que ça les
touchait. Mais cela ne s'est pas appesanti. Elles ont compris le but du film,
elles ont compris que c'était un film sur les actrices.
Il y une très belle scène entre Deneuve et Béart dans laquelle vous utilisez
une photo de Romy Schneider. Pourquoi avez-vous choisi cette photo ?
Parce que c'était mon actrice préférée quand j'étais petit et puis comme c'est
un film en hommage aux actrices, autant la mettre. Mais je pense aussi que ça
a aussi une histoire aussi bien par rapport à Catherine Deneuve qu'Emmanuelle
Béart (les deux protagonistes de la scène en question, ndlr). Emmanuelle
Béart a pris un peu la continuité chez Sautet des rôles de Romy Scnheider, donc
il y avait une continuité d'actrice et dans les années 70, on opposait beaucoup
Romy Schneider à Catherine Deneuve. On considérait Catherine Deneuve comme l'actrice
froide et Romy Scnheider comme une actrice plus extravertie, plus populaire,
plus… " chaude ". Mais j'ai tourné la scène sans cette photo. Catherine Deneuve
ne savait pas au moment du tournage que je mettrais la photo de Romy Schneider.
Elle l'a découvert après. De toute façon je n'avais pas eu l'idée à ce moment-là.
Avez-vous pensé au Cluedo pour le travail sur la couleur ?
Ah oui, c'est vrai qu'il y a Mademoiselle Rose, le Colonel Moutarde… Non, je
n'y ai pas pensé, mais je jouais au Cluedo quand j'étais petit, donc effectivement
c'est une réminiscence. (rires)
Vous tournez beaucoup, vous n'avez pas peur de vous épuiser ?
Vous trouvez que je m'épuise ? (rires) C'est vrai que là je me suis un peu épuisé
je dois dire. Vous savez, ce n'est un film par an. Je ne travaille pas tant
que cela, ce sont les autres qui ne travaillent pas beaucoup ! (rires)
Propos recueillis par Yannis Polinacci