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Rencontre avec
Nabil Ayouch, réalisateur de Ali Zaoua

Après Mektoub,
son premier long métrage, un record au box office marocain avec plus de 350,000
entrées, le cinéaste Nabil Ayouch revient avec Ali
Zaoua, une fable qui met en scène de jeunes garçons de
Casablanca qui cherchent à enterrer dignement l'un de leurs amis. Pour
tourner ce film, le cinéaste a fait appel à de vrais enfants des
rues, donnant à son superbe conte un naturel inouï qui a convaincu
de nombreux jurys de festivals à travers le monde.

Dans les deux
films, Mektoub et Ali Zaoua, vous partez d'une réalité
sociale et vous allez vers le conte, la fable... C'est le cinéma que
vous aimez pratiquer?

C'est vrai qu'il
y a un point en commun entre Mektoub et Ali Zaoua, les deux partent
de la réalité sociale qui là, incontournable. Dans Mektoub,
c'était la corruption de la police, les cultivateurs de cannabis, et
puis ce fameux scandale, cette affaire de moeurs qui avait secoué l'opinion
publique, et dans Ali Zaoua, c'est les enfants des rues. Et très
vite, de ces réalités, on part vers la fiction. Et cette fiction,
elle est exacerbée dans Ali Zaoua, puisqu'on ne se contente pas
de fictionnaliser, de se nourrir de la réalité, on va vers le
conte, vers l'onirisme, le rêve, la poésie. Et ce qui m'a inspiré
ça, c'est d'abord mon univers, puisqu'on retrouve ces points communs
entre les deux, et puis d'autre part ces trois ans que j'ai passés dans
la rue avant de faire ce film, avec les enfants, avec les éducateurs
de l'association Bayti, où j'étais à la rencontre de ce
monde un peu parallèle qu'on ne connaît pas. Vous, vous avez cette
vision à plusieurs milliers de kilomètres, mais notre perception
au Maroc n'est pas la même, on vit tout près, on a vraiment l'impression
d'être dans deux mondes qui se croisent mais qui ne s'entrechoquent, ne
s'entremêlent jamais. C'est terrible, c'est comme une glace qu'on n'arrive
pas à briser.

Donc j'ai fait
la démarche de descendre dans la rue pendant trois ans à la rencontre
de ces enfants, de ce monde parallèle, et là je me suis rendu
compte à quel point la rue avait un pouvoir de poésie, un pouvoir
presque tragico-lyrique sur ces enfants nourris par leur propre imaginaire,
qui est foisonnant; à partir de rien, d'un élément dans
le décor urbain, ils peuvent partir dans un délire hallucinant
de fantasmagorie. Donc je pense qu'Ali Zaoua est le symbole et le reflet
de ce paradoxe qu'on trouve dans la rue, à la fois cette part très
crue, très violente de leur réalité, et cette part de rêve
qui les nourrit et les aide à vivre, à survivre même. Et
d'ailleurs, on le voit très bien dans la personnalité de ces enfants,
puisqu'eux mêmes sont en soi un paradoxe, ils ont une ambivalence très,
très forte. A savoir qu'ils ont cette part d'adulte malgré leur
jeune âge, cette part d'expérience de la vie, de vécu qu'on
retrouve - parce que des fois, ils sont très, très surpenants,
dans leur analyse et dans leur perception de la vie - et puis des fois, ce sont
tellement des enfants, mais des enfants qui n'auraient pas grandi, parce qu'ils
sont capables de s'émerveiller sur des choses que même un enfant
de deux/trois ans a déjà dépassées. Et ça,
c'est très destabilisant d'être toujours entre deux eaux, mais
très nourrissant pour un réalisateur.

Pour accroître
le côté rêve, fable du film, vous avez mis des séquences
animées, pour lesquelles vous êtes allés trouver le studio
d'animation français réputé de Jacques-Rémi Girerd,
Folimage...

Assez rapidement,
on a eu envie de faire rentrer l'animation dans le réel, sauf qu'on ne
savait pas très bien comment faire à l'époque. Et ce qui
s'est passé, c'est qu'on a présenté ce film aux enfants
comme un atelier cinéma, on a essayé de créer un côté
ludique. On leur a dit aussi que le film ne serait qu'une étape dans
leur vie, qu'il pourrait être une passerelle pour ceux qui avaient envie
de s'en sortir, mais que pour ceux pour qui la vie dans la rue était
devenu un choix, le film ne changerait rien. Donc, dès le départ,
on a commencé à créer cette distance, de même qu'autour
de la fabrication même du film, en plus de l'atelier cinéma, on
a fait des ateliers dessin, peinture. Très vite, on s'est rendus compte
que les enfants allaient vers la peinture, le dessin, comme une façon
d'exorciser et de sortir certaines choses qu'ils avaient enfouies à l'intérieur
d'eux-mêmes - mais quoi de plus normal.

Donc, ce qu'on
a fait, c'est qu'on a contacté cette société à Valence
qui s'appelle Folimage, qui fait des films d'auteur d'animation, qui m'ont toujours
extrèmement séduit, avant même que j'aie envie de faire
Ali Zaoua. Et on leur a dit: 'Voilà, ce qui serait intéressant,
c'est d'une part de créer des personnages en animation, et aussi de regarder
les dessins faits par les enfants et de se servir de cet univers qu'ils avaient
reproduit sur papier comme base pour créer une animation qui, je l'espère,
soit en symbiose avec le reste du film. Les séquences d'animation ont
donc été faites dans les studios de Folimage, mais pour la très
belle fresque dans la caverne du port, la dessinatrice Sylvie Léonard
de Folimage est venue passer un week-end à Casablanca pour la faire.

Propos
recueillis à Paris par Robin Gatto