Compte Rendu
du 23ème Festival Films de Femmes de Créteil
23 mars
- 1er avril 2001
Prendre la température
de la création cinématographique au féminin est une des
missions du Festival de Films de Femmes de Créteil. Chaque nouvelle édition
va ainsi avec son lot de découvertes et de consécrations de talents
qui ont souvent beaucoup de mérite à oeuvrer dans un monde dominé
par les hommes (même en France, pays sans doute le plus avancé,
la parité est loin d'être de mise). Pourtant, on le sait depuis
Ferreri, "le Futur est Femme" et c'est une bonne surprise de constater
que le renouveau d'une cinématographie aussi meurtrie que la cinématographie
allemande est annoncé par une jeune femme : Maria Speth.
Cette Berlinoise
de 34 ans a signé avec In den Tag hinein une oeuvre inspirée
du cinéma taiwanais avec peu de moyens mais beaucoup de talent et de
maîtrise. Déjà primé au prestigieux festival de Rotterdam,
In
den Tag hinein a connu à Créteil une nouvelle consécration
en remportant le Grand Prix du Jury.
Si l'Allemagne
s'inspire de Taiwan, alors il est logique que Taiwan s'inspire de l'Europe.
C'était le cas avec Je m'appelle Ah-Ming (Bundled) de la
Taiwanaise Singing Chen qui dans ce premier film est partie avec beaucoup de
générosité à la rencontre des SDF de Taipeh, sujet
social très peu traité dans la pourtant si excitante cinématographie
taiwanaise. Mêlant réalisme et imaginaire, Singing Chen réussit
un film humain avec dans le rôle principal un vrai SDF à l'optimisme
irrésistible. Primé à Fribourg il y a deux semaines, Je
m'appelle Ah-Ming repart hélas bredouille de Créteil.
Ce qui n'est pas
le cas de l'autre grande gagnante du festival : la Japonais Kaze Shindo, petite
fille du grand cinéaste Kaneto Shindo, qui avec Love Juice et
ses actrices craquantes, a conquis le coeur des jeunes jurés "Graine
de Cinéphage". Dans
un autre registre, ce jury a également été séduit
par la sécheresse et l'âpreté d'un autre premier long métrage,
celui de l'Iranienne Maryam Shahriar.
Daughters of
the Sun décrit l'enfer vécu par une jeune femme déguisée
en garçon par sa famille pour aller travailler dans un atelier de tissage
dans des conditions qui relève du pur esclavagisme. Portée par
une jeune actrice, Altinay Ghelich Taghani, qui a osé avec son intrépide
metteur en scène braver le tabou du travestissement sexuel, le film décrit
ce calvaire comme une passion mystique qui débouchera sur la révolte.
Par la sécheresse de ses plans et l'austérité de ses choix,
Daughters of the Sun évoque à plus d'une reprise La
Passion de Jeanne D'Arc de Dreyer avec lequel il partage la même foi
dans le visage halluciné de leurs actrices.
Exemplaire de la
lutte des femmes contre les tabous, le film de Maryam Shahriar aurait très
bien pu alimenter le programme Tabou proposé cette année par le
Festival. Mais plus exemplaire encore fut la venue de Shu
Lea Cheang, réalisatrice d'origine taiwanaise, qui a signé
avec IKU
un film pornographique high tech qui développe avec fantaise l'intrigue
de Blade Runner de Ridley Scott. Sans peur et sans reproche, celle qui
nous a révélé être une grande amie d'Ang Lee et de
Hou Hsiao-hsien a sans doute reçu à Créteil un accueil
très éloigné de ce qu'elle pouvait imaginer. Conviée
à l'animation d'une conférence sur les tabous en compagnie de
l'experte française dans ce domaine, la brillante Catherine
Breillat, Shu Lea Cheang a eu maille à partir avec la frange féministe
du public qui lui a reproché d'avoir fait un film "patriarcal"
qui donne une image encore une fois "dégradante" de la femme.
Ce à quoi la Taiwanaise a répondu : "je commence à
en avoir marre du pouvoir de la chatte, je vais m'intéresser au pouvoir
du penis." Le ton était donné...
A côté
du sex-futurisme de IKU, on pouvait penser qu'un film comme Christopher
Strong d'une pionnière du cinéma américain Dorothy
Arzner ferait pâle figure. Il n'en fut rien. Cette production hollywoodienne
produit par Selznik et réalisée (ce qui est à l'époque
relève du véritable exploit) par une femme recèle des trésors
de kitcheries. Inspiré de la vie de la première femme à
avoir fait le tour du monde en avion et projeté dans le cadre de la rétrospective
consacrée aux Héroïnes du XXème siècle, Christopher
Strong met en scène une Katherine Hepburn tête brûlée
dont la passion sera mise en danger par l'amour pour un Lord marié intègre.
Peu inventive pour les scènes d'aviations, Arzner se révèle
bien plus mordante dans sa satire sociale et se plaît à titiller
la morale bien pensante comme la vraie comédie américaine sait
le faire. Avec un zeste de désinvolture qui arrache à nos zygomatiques
contemporains quelques éclats de rires, comme cette scène où
notre héroïne paraît devant son Lord déguisée
en papillon de nuit (avec antennes et cape sur justaucorps argenté moulant...
si, si).
Entre ses thématiques
consacrées aux héroïnes et aux tabous, le Festival ne pouvait
pas faire meilleur choix cette année pour leur hommage que de d'honorer
la belle Maria Schneider. Propulsée sur le devant de la scène
par un film sulfureux Le dernier Tango à Paris, l'actrice a souvent
fait figure d'héroïne avec ses attitudes frondeuses. Peu loquace,
mais très franche, Maria est venue à Créteil présenter
en copie 35 mm (chose rare car le film est très peu diffusé en
salles) Profession Reporter de Michelangelo Antonioni, film dont elle
est le plus fière, consciente du génie visionnaire de son metteur
en scène qu'elle semble admirer énormément.
Sortant de sa réserve
pour commenter l'hallucinant plan séquence de la fin du film, Maria la
"rebelle" s'est avérée plus timorée sur tous
les autres sujets, excusant son manque de loquacité par le fait, qu'en
tant qu'actrice de cinéma, c'est par l'image qu'elle s'exprime et non
par les mots. Personnage de moins en moins présente sur l'écran,
Maria conserve ainsi son mystère, laissant notre imagination vaquer plus
volontiers vers la jeune femme incroyable de naturel qui donnait la réplique
avec aplomb au grand Marlon du film de Bertolucci. Au fond, c'est pour cela
qu'on l'aime et qu'on l'aimera toujours.
Et c'est justement
par ce dernier tango que s'est terminé un festival riche en événement,
qu'on espère tout aussi inspiré l'année prochaine.
Yannis
Polinacci
A
lire aussi :
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de Sabine Timoteo & Hiroki Mano, acteurs de In den Tag hinein
Interview
de Shu Lea Cheang, réalisatrice de IKU
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Bientôt
en ligne : entretiens avec Singing Chen (Bundled) et Maryam Shahriar
(Daughters of the Sun)